❝ Wake me up before you go-go ❞
CRÉDITS ; @tumblr
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« Maman ? »
Une porte claquée avait réveillé la petite Lou. L’enfant se glissa hors de son lit. Il n’y avait pas de bruit dans la maison.
« Papa ! »
Son père répondait toujours quand elle l’appelait. Pourtant, il n’en fit rien. Elle sentit la peur l’envahir peu à peu. S’approchant de l’escalier, elle vit que tout était éteint en bas. Mais la porte de la chambre de ses parents étaient entr’ouverte et une faible lumière filtrait. Elle sourit, rassurée. Tandis qu’elle se dirigeait vers la pièce, la porte s’ouvrit en grand et elle sursauta devant la grande forme noire qu’elle n’avait jamais vue. Ladite forme tourna la tête vers elle et s’agenouilla à sa hauteur. C’était un homme grand et mince, avec d’immenses yeux brun.
« Je suis désolée, petite. Ça sera douloureux au début, mais plus le temps passera, plus tu apprendras à vivre avec, même si ça ne disparaitra jamais. Ne pense pas à te venger. Ça n’en vaut pas la peine. »
Sans plus de cérémonie, il se redressa, son long pardessus effleurant le visage de Lou, et descendit si vite que l’enfant crut qu’il glissait. Appelant à nouveau ses parents, elle pénétra dans la chambre et marcha dans de l’eau qui collait. Sa mère était allongée face contre terre, et son père gisait sur le lit. Elle réalisa que c’était du sang et non pas du l’eau…
Le hurlement ininterrompu réveilla Douglas et Rebecca. Leur petite fille avait fait un cauchemar. Elle en faisait souvent. Depuis qu’elle s’était perdue lors du carnaval. Il y avait du monde et Rebecca avait lâché la main de sa fille en étant bousculée. Louisa n’avait jamais parlé de ce qu’elle avait durant les quatre heures où elle était seule. Elle refusait catégoriquement. Cela n’aurait guère inquiété ses parents, s’il n’y avait eu les cauchemars récurrents qui terrorisaient littéralement la fillette.
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Appuyée contre le cadre de la porte, Louisa regarda sa mère. Elle ne voulait pas la réveiller. Elle souffrait bien assez. L’adolescente essuya une grosse larme qui roula sur sa joue rosée. Sa mère se mourrait. Elle s’était battue des mois, des années durant même. Pour elle, Louisa. Pour qu’elle puisse avoir sa maman plus longtemps. Mais la maladie avait été la plus forte. La jeune fille s’occupait d’elle autant qu’elle le pouvait. Rebecca avait souhaité passer ses derniers jours chez elle, à la maison. Pas à l’hôpital, reliée à des machines bruyantes qui l’avaient toujours empêchée de dormir. Contrairement à sa fille, rassurée d’entendre les bips indiquant que sa mère vivait. C’était au contraire le silence qui empêchait Louisa de dormir. Elle passait des nuits blanches à écouter la respiration de sa mère mourante. Son téléphone bippa et sa mère bougea légèrement. Louisa recula pour lire son message dans le couloir. C’était Remy. Il devait lui proposer de sortir un peu ce soir là. Il le faisait tous les soirs. Pour essayer de lui changer un peu les idées. Mais elle disait non à chaque fois. Son petit ami était adorable, cependant elle se refusait à laisser sa mère. Sauf que ce soir là, ce n’était pas du tout ça. Il lui disait qu’il passerait la voir.
La soirée qu’ils passèrent fut agréable. Ils n’étaient que tous les trois. Douglas était à New York pour défendre l’un de ses clients dans un procès retentissant. Il se noyait dans le travail pour ne pas voir sa femme dépérir. Par moments, Louisa en voulait à son père, même si elle comprenait parfaitement sa réaction. Sa mère ne s’en rendait pas toujours compte. La jeune fille remonta la couverture sur celle qui l’avait mise au monde. Ses traits décharnés, ses yeux entourés de cernes grisâtres lui arrachèrent un sanglot. Elle savait que sa mère n’en aurait plus pour très longtemps.
« Est-ce que tu veux que je reste cette nuit ? »
Elle sourit avec reconnaissance à Remy avant de secouer la tête. Lui expliquant que ce n’était pas la peine, qu’elle allait pouvoir gérer. Un pieux mensonge. Elle allait passer une énième nuit blanche à pleurer. Ce qu’il n’ignorait pas. Mais il était perdu et ne savait plus quoi faire pour la soulager. Il l’embrassa tendrement et quitta la maison, laissant Louisa à ses sombres craintes.
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La fanfare jazz marchait au rythme de la musique et des chants que produisaient les musiciens. Derrière, une élégante mais noire calèche transportait, tirée par deux chevaux blancs, un cercueil recouvert de fleurs. Louisa se blottit contre Remy, tandis qu’ils marchaient aux côtés de son père. Sa mère s’était éteinte deux jours plus tôt, à la fin de l’après midi, après avoir eu un regain de conscience. Louisa et elle avaient longuement parlé, en se tenant la main, puis Douglas les avait rejointes. Et elle s’était paisiblement endormie, cessant enfin de souffrir.
Louisa fit un dernier signe à Remy et referma la porte. Une musique qu’elle connaissait bien retentissait en fond. La jeune fille se dirigea vers le salon et vit son père misérablement assis sur le canapé, à regarder une vidéo. Rebecca et Louisa qui dansaient sur « Wake me up, before you go-go ». Elles le faisaient souvent quand Louisa était encore une enfant. Elle rejoint son père et posa la tête sur son épaule. Aucun des deux ne réalisait encore…
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Lou tourna dans une petite rue, sans ralentir la cadence. Elle ne savait pas exactement ce qu’elle poursuivait, mais la créature dévorait des cadavres fraîchement enterrés dans le cimetière Lafayette, ce qui n’était forcément pas une bonne chose. Et maintenant, la chose s’enfuyait à travers les rues de Treme. Le quartier ne s’était pas remis du passage de Katrina, ce qui en faisait le coin idéal pour tous les monstres qu’elle chassait avec plus ou moins de succès. La jeune femme s’arrêta de courir. Elle l’avait perdu. Tout du moins le crut elle jusqu’à ce qu’elle finisse dans un mur, puis par terre. Puis un coup de feu retentit. Louisa releva la tête. Il lui tendait la main, faisant une tête qui en disait long sur ce qu’il pensait.
« Tais toi. » répondit elle, en se relevant seule. « Tu m’agaces. »
« Parce que j’ai toujours raison ? »
Elle grommela, mauvaise perdante. Remy avait raison. Et il faisait cela depuis bien plus longtemps. Il était le premier et le seul à savoir ce qu’elle avait vu, enfant, le fameux jour où elle s’était perdue pendant le carnaval. Elle lui en avait parlé, des années auparavant, pensant qu’il allait se moquer d’elle. Mais ça n’avait pas été le cas. Il l’avait même aidée à mettre un nom sur ce qui l’avait tellement terrorisée.
Remy regarda la carcasse. La créature aurait déchiquetée Louisa s’il n’avait pas été là. Il n’arrivait pas à la laisser chasser seule. Et pourtant, son entêtement à vouloir tout de même le faire était tenace. Elle apprenait vite, bien, avec une rage qui parfois effrayait le jeune homme. Même s’il aurait voulu la tenir loin de cela, il savait bien qu’il ne vivrait pas assez longtemps pour la protéger éternellement.
« Je t’aime, sale gosse. »
« Je t’aime aussi, sombre idiot. »
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Il n’aurait pas pensé avoir si rapidement raison. Et encore moins que cela arrive de cette façon là. Louisa pénétra dans le hall des urgences complètement paniquée. Elle n’avait que partiellement écouté le message. Les seuls mots qu’elle en avait retenus étaient « Remy » et « accident ». Elle jeta un regard avant de voir des visages qu’elle connaissait. Les collègues pompiers de son mari. Et à leurs mines, elle sut que ce n’était pas bon. Le capitaine s’approcha d’elle. Elle secoua la tête. Ce n’était pas possible.
« Non… »
« Louisa… Les médecins ont fait tout ce qu’ils pouvaient… »
« NON ! » le coupa t’elle.
Elle s’avança dans les urgences, cherchant la pièce où était Remy. Mais plusieurs pompiers se mirent devant elle. Alors elle comprit. Ce n’était pas un cauchemar. C’était bien vrai. Remy aussi l’avait quitté, comme sa mère l’avait fait, six ans plus tôt. A seulement vingt deux ans, elle avait déjà perdu deux des personnes qui comptaient le plus à ses yeux.
« Lou, il est passé à travers un plancher en voulant sauver une femme coincée par les flammes. Tu n’as pas envie de voir ça. Crois moi, tu préfères garder l’image que tu as de lui. »
Il s’appelait Rob et c’était le meilleur ami de Remy. Elle le connaissait bien, il faisait en quelque sorte partie de leur famille. La jeune femme prit une grande inspiration. Elle ne voulait pas s’effondrer. Pourtant, avant même de s’en rendre compte, elle sanglotait contre lui.
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La valise claqua avec un coup sec. Louisa essuya ses yeux, lasse. Elle avait l’impression d’être perdue, de ne pas savoir quoi faire. Elle tourna la tête vers son père, qui l’observait avec les mêmes yeux azur qu’elle. Elle pouvait lire son inquiétude.
« Tu n’es pas obligée de partir, ma chérie. »
« Je ne peux plus rester ici. »
« Viens vivre chez moi. »
La jeune femme secoua la tête. Elle était bien trop indépendante pour retourner vivre avec son père. Pourtant, il la comprenait malheureusement mieux que quiconque. Lui aussi avait perdu la personne qu’il aimait.
« La Nouvelle Orléans est ma ville, j’y reviendrais peut être un jour. Mais là, tout de suite, je ne peux pas. Tout ici me rappelle Remy. Cet appartement, où on vivait tous les deux. Jackson Square, le Vieux Carré, le bayou… Je ne peux plus, papa… »
Douglas serra sa fille contre lui. Il aurait fait la même chose à la mort de sa femme s’il n’y avait pas eu Louisa. Mais elle quitta bien vite l’étreinte paternelle rassurante. Il y avait une chose qu’elle voulait faire avant de quitter quasi définitivement Big Easy.
Elle gara sa voiture en face de l’imposante grille en fer forgé. L’allée principale était ombragée, en cette fin de journée d’été, grâce au soleil couchant et aux immenses arbres centenaires. Elle marcha d’un pas machinal, sans réellement réfléchir. Elle aurait pu y aller les yeux fermés. Elle s’arrêta devant un caveau vieillot mais imposant. Remy venait d’une très vieille famille et reposait donc dans le tombeau familial. Louisa resta un long moment plantée devant le nom de son mari. Avant de s’approcher de la pierre glacée pour poser ses lèvres sur le Remy gravé.
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Elle avait quitté Big Easy sans un regard en arrière. Elle avait trouvé une ville minuscule, Collinston, à quatre heures au Nord de la Nouvelle Orléans. Cela lui convenait parfaitement. Elle y travaillait comme bibliothécaire. Au moins, ses études de littérature et de documentaliste n’avaient pas servi à rien. Cette ville lui avait semblé tranquille. Mais c’était en apparence. Il s’y passait des choses vraiment très curieuses. Des morts qui revenaient à la vie, par exemple. Et s’il n’y avait que ça. Elle qui comptait tout oublier, c’était impossible désormais. Au final, cela l’empêchait de penser et la défoulait.
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