Le soleil se couchait alors que la jeune femme marchait. La nuit. Elle adorait ça. Elle ne vivait que pour ça. Le jour n’était fait que pour les faibles qui ont peur, la nuit, elle, était reine dans ce monde, laissait voir les ténèbres et prenait place et laissait place à des choses surnaturelles, des choses qui faisaient vivre Kenzie. La jeune femme marchait, ses mains glissées dans sa veste en cuir et son regard porté vers l’horizon. Ce soir elle ne chassait pas. Non. Elle n’en avait pas le temps, pas le loisir. Elle devait aller bosser au bar du coin. Dans cette ville pourrie où les gens boivent pour oublier leurs malheurs, leurs histoires et leurs peurs. Aujourd’hui elle voyait de plus en plus de chasseurs en ville et elle commençait sérieusement à se demander ce qu’il se tramait. Elle restait à sa place et passait pour une serveuse ordinaire dans un endroit banale. La plus belle des couvertures pour une femme au double-jeu. Non, elle n’était pas conne, bien au contraire. Elle marcha le long du trottoir et traversa bientôt la rue, les lampadaires éclairaient l’avenue et l’enseigne du bar/grill brillait de mille feux. On aurait dit une entrée de boite de nuit ringarde, à l’inverse, c’était un bar de quartier dont les habitués adoraient le calme et l’anonymat qu’il offrait. Elle pénétra dans les lieux et se dirigea jusqu’au vestibule avec un large sourire envers son patron. Un focus. Dés qu’elle tournait la tête, il matait son derrière et plusieurs fois, il avait tenté de le lui toucher. Quel con. Quel idiot. Comme si elle ne le voyait pas. Elle enfila rapidement un tablier et se dirigea vers la sortie pour entrer dans la partie de la clientèle. Le bar était sale et elle se dirigea vers celui-ci pour l’essuyer alors que son patron tournait déjà la tête, admirant ses formes moulées dans un short. Non, elle ne portait jamais de robes et de jupes, elle détestait ça, ça lui donnait presque l’impression d’être une idiote. Et en plus, elle n’avait pas la liberté de faire ce qu’elle voulait. Elle avala sa salive et observa la personne qui venait de passer la porte. Un homme plutôt jeune, grand et plutôt pas mal physiquement. Elle le connaissait mais impossible de mettre un prénom sur ce visage. Il s’approcha avec nonchalance du bar et commanda une boisson, sa voix interpella la jeune femme qui se retourna et fronça les sourcils. « Sam ? », dit-elle, pas tellement sûre de ce qu’elle avait trouvé. Son prénom, elle venait de le retrouver un peu bêtement. Sa voix lui rappelait le prénom d’un homme avec lequel elle avait couché. Son grognement quand il s’était assit avait eu le don de lui faire revenir en mémoire ces ébats sauvages qu’ils avaient pu avoir. Elle se prit à sourire à cette pensée et prit un verre et le posa en face de lui. Il ne semblait pas l’avoir reconnue, ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne relève les yeux définitivement et qu’il la reconnaisse. On n’oublie pas ce genre d’aventures. En tout cas, pas elle. Elle se mordit donc la lèvre et l’observa avant de se permettre quelques mots : « Et bien si je m’y attendais à ça…. ». Ah bah merde alors, elle s’y attendait sûrement pas !

Cette soirée lui sembla bien vite futile…Elle allait rester bloquée dans un bar en compagnie d’hommes et de femmes d’un certain âge, qui attendaient sagement que le temps défile devant leur yeux et que vienne le jour de leur mort. Kenzie n’avait rien contre ça mais quelque part ça la déprimait. Elle rêvait de plus de joie pour la race humaine, elle avait l’impression de se retrouver dans un remake mal écrit de Madame Bovary où Emma se serait changée en toutes sortes d’hommes et de femmes qui picolent dans un bar. Pourtant dans leur malheur ils avaient la chance de ne pas être chasseurs. Ils ne voyaient pas la noirceur du monde qui s’abattait petit à petit sur leurs têtes, ils ne voyaient pas comment la race humaine pouvait être en danger. Ils vivaient comme des inconscients et de enfants pourris gâtés. Les chasseurs dédiaient leur vie à une cause mortelle dans l’espoir d’éviter le chaos sur terre et ils étaient remerciés au lance-pierre. Des merdes, voilà ce qu’ils étaient. Des hommes comme les autres pour le reste du monde sauf pour ceux qui savaient reconnaitre leur valeur réellement. Souvent la jeune femme avait eu envie de baisser les bras et d’agir en égoïste finie qui passe son temps à profiter du système, qui s’engraisse et qui ne vit plus… Mais elle se souvenait des paroles dures et sans appel de ses parents qui la ramenaient à l’ordre. Plus qu’une profession, la chasse était pour elle un devoir. Une voie toute tracée sur le chemin de la vie sans qu’elle n’ai besoin de choisir. Elle n’avait pas le choix. Elle n’avait jamais eu le choix de toute façon… La peur et les doutes devaient rester de côté et laisser place à un calme apparent dans l’espoir de faire croire au gens que nous ne sommes jamais traumatisés par les horreurs que ces créatures que l’on pourchasse peuvent faire. C’était un puits sans fond, un abysse où ils tombaient un à un, un douloureux engrenage qui vous enserre si vous fort que vous ne pouvez plus respirer. Plus de vie possible, plus d’amour et de famille, plus de joie. Peine, malheur et horreur devienne votre quotidien. Une goutte d’eau dans l’océan immense devient un tsunami dans son monde. Parfois elle regrettait vaguement de ne pas avoir une vie à proprement parler et de passer la sienne sur les routes sans penser à ce qu’elle pourrait bien se faire ce soir à manger ou qui elle retrouverait à la maison pour des câlins. Mais finalement, à quoi bon croire en quelque chose si on est sur et certain que l’on ne l’aura jamais ? Kenzie en était sûre, elle n’aurait jamais cette vie parfaite, ses parents avaient essayé, ils avaient échoué et les seuls chasseurs dont elle avait réussit à être proches avaient des parents ayant subit le même sort…

La vie était triste pour les chasseurs, c’était une dure réalité à laquelle ils s’étaient habitués. Ce soir, elle sentait que le temps allait passer lentement, très lentement… Rythmé par les regards indiscrets de son patron et par les plaintes et gémissements des habitués et des soulards qui cherchaient à oublier leur vie au fond d’un verre qui se rempli indéfiniment. Pourtant une surprise de taille vint la cueillir et la sortir de la monotonie routinière de son travail. Il était là, se tenait devant elle, un fantôme d’un passé qu’elle avait mit derrière elle depuis belle lurette mais qui, bizarrement, refaisait surface. Elle n’allait pas s’en plaindre, Sam avait été un compagnon de chasse hors pair et un amant l’ayant assez satisfaite pour la marquer et l’aider à se souvenir de son prénom. Ils avaient partagés sûrement plus qu’un oreiller et une chasse, elle en avait été convaincu sans réellement comprendre la raison pour laquelle il se renfermait dans une certaine moue silencieuse dont lui seul avait le secret. Il restait perturbant, il l’avait toujours été mais aujourd’hui il semblait apaisé. C’était comme s’il avait retrouvé quelque chose qu’il recherchait lorsqu’ils s’étaient rencontrés. Par contre, elle ne semblait pas réellement l’avoir marquée parce qu’il lui fallut quelques secondes de réflexion intense pour retrouver son prénom, une joie immense que de savoir qu’en plus d’être seule, les mecs qu’elle pouvait rencontrer en chasse ne se souvenaient que rarement d’elle… Au moins, elle ne pouvait pas en vouloir à Sam, il se souvenait d’elle. Elle sourit largement en hochant la tête pour lui confirmer qu’il avait raison en ajoutant à haute voix : « La seule et l’unique ! ». Le tout dans un brin d’humour bien à elle. Ils avaient beau s’être croisés et vus tout nus, ce n’était pas pour autant que Kenzie se trouvait gênée ou même déroutée. Pas question de détourner le regard face au jeune homme qui lui faisait face, ils étaient adultes et se retrouvaient. Point barre.

Le rire qu’il eut la fit sourire, il n’avait pas tellement changé physiquement mais on aurait dit qu’il était beaucoup moins renfermé qu’avant. C’était clair et net, il y avait quelque chose de différent et ça piquait au vif cette curiosité maladive dont elle avait hérité des gênes de chasseurs de sa famille… Elle comptait bien savoir la raison pour laquelle les démons qui torturaient Sam à leur première rencontre s’étaient apaisés. La réponse qu’il lui fournit la fit sourire encore plus : il avait raison sur ce point, elle n’était pas là pour enfiler des perles et lui non plus ! « J’ai cru comprendre ouais… J’espérais récolter tous les mérites et avoir une cathédrale à mon nom et être canonisée… Je crois que je vais devoir partager ma couronne maintenant ! ». Elle se mit à rire plus fort en imaginant une scène ridicule puis se retourna pour ranger la bouteille qu’elle avait utilisée pour le servir quelques minutes auparavant. La remarque qu’il lui fit provoqua un rire cristallin et elle ne pu s’empêcher de se retourner vers lui en désignant son accoutrement avant de répondre à sa question. « Ouais j’hésitais entre caissière à Bloomingdale’s ou bien serveuse dans un bar pourri dans le trou du cul du monde et je me suis dit que j’aurais un meilleur plan de carrière ici… ». Elle se servit un verre avec un sourire narquois avant de poursuivre son explication. « En fait, ça a trois avantages d’être une serveuse quand on fait notre boulot. Un : les gens te trouvent mignonne et te parlent plus facilement. Deux : vu que j’ai pas fait d’études j’ai de quoi payer de l’essence pour me barrer plus vite ! Et trois : je peux boire gratos ! Si c’est pas le bonheur ça ! ». Elle se mit à sourire largement avant de trinquer avec lui et de porter le verre à ses lèvres pour le boire. D’humeur joueuse, il avait de la chance, il allait avoir une gentille Kenzie, certains autres clients n’avaient pas ce luxe ô combien agréable ! Elle finit par se pencher vers lui et l’observa dans le blanc des yeux avant de sourire, la question à un milliard de dollars allait fuser et sa curiosité allait enfin être rassasiée. Dieu merci ! « Dis-moi… La dernière fois qu’on s’est vu t’étais pas aussi loquasse que ça… Alors ? T’es devenu gay ? T’as trouvé l’amour de ta vie ? T’as gagné au loto ? T’as rencontré le petit Jésus ? ». Elle fronça les sourcils dans une expression pleine de malice et ne lâcha pas son regard d’une semelle, cherchant à comprendre par ce seul moyen la raison pour laquelle il avait changé. Le problème était toujours le même avec lui : il ne donnait que ce qu’il voulait donner, s’en était presque détestable… Il était trop doué pour elle…